[2.1.3] Considérations
générales sur le parler yportais
C'est surtout dans le domaine de
la prononciation que nous avons observé, chez des témoins
ayant eu le parler local comme langue maternelle, de nombreuses
variations, conscientes ou non, du type :
ils s'en allaient à la
mé / à la mer
Mais on rencontre tout autant le phénomème contraire :
y avait le père / le pé
Ayant laissé s'exprimer un témoin, nous lui
signalons qu'il a dit plusieurs fois batet et plusieurs
fois batiâo pour désigner un bateau
et demandons comment on disait autrefois à Yport :
ça dépendait /
on disait les deux
La même réponse est faite par un autre informateur
que nous entendons, à quelques minutes d'intervalle,
nommer les maquereaux maquarias, maquadias et maquayas.
On nous a par ailleurs affirmé que c'est la forme maquediâs
(que nous avons également recueillie spontanément
chez d'autres témoins), qui serait yportaise. Nous
pensons que, combattu depuis des décennies, le parler
n'est plus employé dans sa pureté originale
et qu'il n'existe plus aujourd'hui un seul Yportais capable
de le produire dans sa parfaite correction. Si bien que le
caractère principal de la langue usitée par
nos témoins est, de même que dans les
autres localités où nous avons enquêté,
l'instabilité. Nous recueillons un grand
nombre de formes de français commun contaminées
par le français dialectal. Par exemple, un terme de
français commun comme " tourteau " peut facilement
devenir, au singulier et au pluriel, tourtet(s) ou
tourtiau(x). Rares sont les témoins qui sont
capables, à notre question, de monter leur surprise :
on dira jamais des tourtets
(tourteaux) non / <c'> est des roussiâs
(20)
Comme nous l'avons constaté ci-dessus, de nombreux
termes français peuvent prendre une prononciation dialectale,
même si, généralement, un nouveau terme
français conserve plutôt sa prononciation quand
il est introduit dans le vocabulaire. Ayant entendu électricitè
à Senneville, nous demandons si l'on disait de même
à Yport et plusieurs témoins affirmèrent
que c'était électriciteu qui était
usité. Mais un informateur s'exclama en riant :
autfè (autrefois)
/ on disait la leumiée (lumière) / ou
le courant
Des formes dialectales contaminées par le français
commun sont aussi fréquentes et, on peut par exemple
entendre dire des capets pour "des chapeaux", alors
que capet est un singulier dont capiâs
est le pluriel attendu. Nous pensons aussi que beaucoup de
réalisations sont influencées par les parlers
des environs. Ainsi, certaines finales en -eu (voir
§ 2.2.3) qui semblent avoir été spécifiques
à Yport, et que nous y avons effectivement recueillies,
sont en concurrence, chez les mêmes témoins,
avec les finales en -è caractéristiques
de l'ensemble du pays de Caux. Nous avons recueilli, chez
le même informateur, les réalisations suivantes
pour pavé (carrelage) : paveu,
pavè et pavé, et de même pour " tombé " : tombeu,
tombè, timbeu et tombé. Et ainsi
nous pourrons, tout au long de nos entretiens avec les Yportais,
observer les innombrables variations dialectales, régionales
et françaises de leur prononciation.
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