[2.1.2] Remarques de
non Yportais sur le parler d'Yport et sur d'autres parlers
cauchois
Nous demandons à des témoins, qui nous assurent
que le parler d'Yport n'est pas compréhensible, si
la communication avec les habitants de cette ville a été
totalement impossible. Les réponses sont mitigées
et plusieurs avouent finalement n'avoir jamais été
en contact avec des Yportais.
Un Etretatais qui, dans son travail, rencontre des Yportais,
déclare :
j'en connais deux ou trois qui
parlent yportais / je comprends rien du tout
Nous lui demandons de préciser et il fait cette réponse,
pour nous étonnante, puisqu'il vient de nous expliquer
que le parler local d'Etretat a été sa langue
maternelle :
ils disent [citation] <c'>
est à ma (moi) / à ta (toi) /
à li (lui) / à mè (moi)
/ à tè (toi) [fin de citation] qu'est-ce
qu'ils racontent [geste interrogatif] on comprend rien
Les formes mè, tè, li pour " moi,
toi, lui " sont celles qui se rencontrent le plus couramment
dans le pays de Caux et aussi donc à Etretat où
nous avons également recueilli des occurrences mé
et té. A Yport, on entend en effet plutôt
les réalisations meu et teu ou ma
et ta pour " moi " et " toi ",
mais nous n'aurions pas pensé qu'elles puissent présenter
un si grand obstacle pour notre témoin. Il faut aussi
prendre en compte l'Yportais (la remarque est sûrement
valable pour d'autres localités) qui met son point
d'honneur à ne pas être compris de ceux qui n'appartiennent
pas à sa communauté linguistique :
je lui en ai foutu eune
(une) (14) déralungueille (déralinguée
(15) suite de mots incompréhensible)
à cte (cette) Parisienne / elle a rien compris
[explication du témoin] eune déralungueille
/ c'est une phrase en patois
Nous demandons au témoin de nous donner un exemple :
si on voit quelqu'un qu'a froid
/ on dit [citation] qu'est qu't'as (qu'est-ce que tu
as) / t'haouche (16) (hausse) eule (le) dos comme
un cat (chat) qu'a le gui (17) (diarrhée) [commentaire] <c'>
est eune déralungueille (déralinguée)
/ les Parisiens comprennent pas
Les Parisiens ne comprennent effectivement pas, pas plus que
l'habitant du plateau si l'Yportais souhaite rester incompris
ou si, voulant mettre une barrière entre eux, l'habitant
du plateau feint de ne pas comprendre l'Yportais. Est-ce uniquement
le parler d'Yport qui est perçu comme différent ?
Il semble bien que non, car chaque fois que nous avons eu
des entretiens avec des témoins, ces derniers n'ont
pas manqué de signaler que dans la localité
voisine, ils avaient " un drôle d'accent "
ou " des mots pas de chez nous ". Un armateur Fécampois,
qui nous certifiait que les habitants de villages limitrophes
avaient parfois des difficultés à communiquer,
ajouta que les Fécampois de quartiers différents
n'avaient pas non plus le même parler :
dans les ateliers de poissons
/ entre Yportais et Ganzevillais / ils avaient du mal à
se comprendre / et à Fécamp / y avait un accent
différent au port et à la Queue de Renard
[quartier à quatre kilomètres du port] // les
gens ne parlaient pas de la même façon
Fécampois et Yportais
nous ont affirmé que le parler de Saint-Valery était
spécial et on nous raconte :
on les appelait les Valdiquis de la jtie (Valeriquais
de la jetée) / ils disaient tout en i / on disait
pour parler comme eux [citation] dans la rue Saint-Lgi
(Saint-Léger) y a plus de putains que de pavis
(pavés) (18)
Nous avons trouvé dans un ouvrage de Fauconnet (1896:120)
un texte qui relate les paroles d'une jeune Valeriquaise lors
de l'inauguration de la ligne de chemin de fer à Saint-Valery
en 1880. Nous avons isolé les séquences suivantes :
" Que belle fite "
(quelle belle fête), " j'ons eu l'es sans tournis
quand al est arrivie " (nous avons eu les sangs tournés
quand elle est arrivée), " ste grosse bite de
macheine " (cette grosse bête de machine), " q'j'avons
treuffi " (que nous avons arrangé)
Dans les phrases ci-dessus, nous remarquons des réalisations
du français commun que nous n'avons recueilli dans
aucune autre localité du pays de Caux : fite
(fête), bite (bête), les finales de participes
passés tourni (tourné), arrivi
(arrivé) et la forme dialectale treuffi (19).
Certains Valeriquais emploient aujourd'hui spontanément
des finales de participes passés en -i.
Ainsi, dans chaque village, chaque ville, nous trouverons
toujours un témoin pour nous assurer que les habitants
de la localité voisine ne parlent pas tout à
fait comme eux. Cependant, dans la région de Fécamp,
tous sont unanimes en ce qui concerne le parler d'Yport :
il est incompréhensible et une grande majorité
de témoins, tant Yportais que non Yportais, l'explique
par le fait que la langue aurait subi une influence grecque.
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