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[3.3.2.2] Le temps et les conditions de départ
en mer
De quoi dépendait autrefois une sortie
en mer ? Ce n'était pas obligatoirement la marée
qui réglait la vie des pêcheurs en caïque,
comme elle le faisait pour les pêcheurs à pied,
mais le temps, ainsi que le raconte un ancien patron de
pêche :
quand il y avait mauvais temps
/ on virait le bateau / le bateau était mis sur la
bringue (346) (hauteur de galet amassé par
la marée) paré à repartir / on attendait
/ on disait / faudrait avé (avoir) tué
pé (père) et mée (347)
(mère) pour sortir par un temps pareil // si les
nuages marmulaient (348)
(s'agitaient) / c'est que le temps allait changer // quand
le bieau (beau) temps revenait / il fallait appeler
les matelots / on naviguait à sept / y avait un vieux
à terre / ça pouvait aussi être une
femme / un vieux matelot qui touchait qu'un demi lot / une
demi part / un garchon de batet (garçon de
bateau) / il allait trâcher (349)
(chercher) tout l'équipage / aussi bien à
deux heures du matin / à n'importe quelle heure /
fallait remettre le bateau à l'eau / et on pouvait
rester soixante-douze heures à la mé (mer)
Une femme de marin croit bon de préciser :
ils se lavaient pas / quand
ils rentraient ils sentaient le doux (350)
(= mauvais) / mais c'était rien à côté
des matelots de Terre-Neuve qui restaient trois mois sans
se laver
Nous demandons quel temps il fallait pour envisager un départ
en mer et le témoin pense à l'époque
où on naviguait seulement à la voile :
on disait faut qu'y aurait
une brisette / quand il y avait tout calme / les vieux /
ils disaient [citation] c'est le grond (grand) calme
et le grond vent qui font perdre la saison à
nos pauvres gens [fin de citation] si faisait un fré
d'vôleux (froid de voleur) / on y allait quand
même // mais quand y a de la piaule (351) (gros temps) / on sort pas
Un Yportais rapporte comment s'exprimait un matelot quand
le temps lui semblait trop calme :
quand il voulait du vent pour
qu'il aille plus vite à la voile / il disait [citation]
oh / par la bonne barbe d'or / que ça fresque(352)
(que ça fraîchisse) [fin de citation] ça
voulait dire qu'il aurait voulu que ça fraîchisse
/ c'était comme une prière
Les pêcheurs yportais examinaient le ciel pour prévoir
le temps :
on disait tiens / y a un un
charme (353) (halo) à la leune (lune)
/ un ralo (halo) / on va avé (avoir)
un coup de vent // ou des gveux (cheveux) de paysans
(354) <c'> était point bon /
<c'> est des nuages vachement effilés / comme
une crinière // ou alors quand il y avait une étoile
trop près de la lune / on disait / la leune
(lune) a rembraque u(355) (rembraqué) son canot
Nous citons maintenant un capitaine de pêche à
Terre-Neuve qui apporte quelques détails supplémentaires :
on disait [citation] charme
à la lune / n'a jamais cassé le mât
de hune mais l'a fait plier / charme au soleil /
dors sur tes deux oreilles [fin de citation] autrement dit
/ on mettait pas les doris à la mer // vous savez
la petite étoile qu'est tout près de la lune
/ quand elle est très éloignée / c'est
signe de beau temps / on disait [citation] la lune a filé
son canot à bout de bôsse (356)
(bosse) [fin de citation]
La pluie, qui n'était pas un obstacle à la
pêche, était parfois accompagnée de
soleil :
quand il y a du soleil et puis
de la plie (pluie) / on dit / c'est le bon dieu qu'est
pas cotent (content) / ou c'est le bon dieu qui bat
sa femme (357) /
on dit aussi / c'est l'orage qui roule ses barriques //
quand le soleil a des tirants on disait / le soleil a
mis ses haubans (358) / c'était signe d'eau // et quand
la pluie tombe en faisant des cloques / on dit la plie
(pluie) fait des leunes (359) (lunes)
Prévoir la pluie ne demandait qu'un peu d'observation
à ceux qui restaient à terre :
quand y a les moutons qui leux
(leur = se) touquent (360) (se donnent des coup de tête)
/ <c'> est signe de plie (pluie)
Quand il pleut, tous les regards des Fécampois, qui
voient effectivement la localité, se tournent vers
Bénouville, qui n'est pas célèbre seulement
pour ses sorciers (voir § 3.1), car :
si ça claircit (361) (s'éclaircit) sur Bénouville
/ la plie (pluie) va s'arrêter
Cette expression, proverbiale chez les Fécampois,
est employée dans de nombreuses autres communes,
au sens propre (les Etretatais prétendent voir l'éclaircie
sur Bénouville) ou figuré, avec parfois des
variantes :
ça claircit (s'éclaircit)
su (sur) les Sorciers (Etretat)
ça se découvre sur Bénouville (Goderville)
ça rmieusit (362) (il fait meilleur) su (sur) Bénouville
(Bruneval)
Le dicton est très usité, par exemple, quand
on joue aux dominos en famille (en tournoi, il n'est pas
question de parler) et il est si connu qu'un politicien,
lors d'une fête à Yport, n'hésita pas
à l'employer en croyant rassurer les terre-neuvas :
c'était dans les années
70 à une Saint-Pierre / y a un ministre / quand la
pêche à Terre-Neuve on savait que c'était
foutu / il avait dit / ça claircit (s'éclaircit)
sur Bénouville / il s'était fait hôluer
(363) (huer) / il
nous prenait pour des imbéciles // d'ailleurs / ça
a été la dernière Saint-Pierre à
Yport
Quand nous demandons s'il y a des noms pour les bruits du
vent et de l'eau, un témoin se souvient :
on était dans le bassin
/ y en a un qui se met à di (dire) / y
a rien comme (comme il y a) arsial(364) (bruit de la marée montante)
/ queu (quel) varva(365) (ressac) / le varva c'est les
restes de houle à l'entrée d'un port ou sur
le perreu (perrey plage de galets)
Certains vents ont mauvaise réputation et un adage
très répandu sur toute la côte est celui-ci :
vent d'amont [à Yport,
vent d'est] / cache pesson (chasse poisson)
Certains plaisantins, pas pêcheurs, cherchent des
rimes drôles à " aval " :
vent d'aval / que dalle (366) // vent d'aval / plein la cale
Grâce au Chicard, une avancée de falaise qui
protége la falaise, seuls des vents de fort secteur
nord rendent inabordable l'accès à la plage,
ce qui fait dire à certains Etretatais :
vents de nord / fête
à Yport
La séquence ci-dessus signifierait que, ne pouvant
quitter leur port d'échouage, les Yportais restaient
en ville à faire la fête, ce que conteste vivement
un pêcheur d'Yport :
vents de nord / fête
à Yport / c'est parce que le vent de nord amène
les harengs / on pêche bien / c'est la fête
Un témoin nous décrit différentes sortes
de brume :
de la boucaille (367) / c'est une petite brume légère
// quand il y a un peu de breune (368) (brume) / on dit tiens le temps est
mô (369)
(mou = humide) / le temps est douillas(370) (doucâtre) // quand il y avait
de la breune (brume) épaisse comme des mâts
/ on disait / on n'y veye (voit) goutte / on restait
à terre // si c'était eune breune
(brume) pisseuse(371) (très humide) / souvent ça
claircissait (s'éclaircissait) / on s'en allait
à la mé (mer) // des fois / y a un
nuage à l'horizon / on appelle ça / eune
côtiée (côtière)
de breune (brume)
Nous racontons que le soir, parfois, quand nous regardons
les bateaux au loin, ils nous semblent être au-dessus
de la ligne d'horizon :
c'est ce qu'on appelle du calinage
(372) (mirage) / hié soué
(hier soir) / y en avait / ça fait un peu brumeux
/ puis y a comme un scintillement / on voyait les bateaux
/ ils étaient au-dessus de la mer
Après avoir évoqué les conditions atmosphériques
permettant aux caïques de prendre la mer, nous allons
décrire quelques moments de la pêche.
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