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[3.3] Le domaine de la mer
"Un Yportais qui naît, c'est un marin
en puissance qui voit le jour" assure Recher (1977:19) en
commençant le témoignage du destin qu'il va
lui-même connaître. Effectivement, autrefois,
les hommes d'Yport étaient principalement pêcheurs
soit à Yport même, soit à la pêche
au long cours, à Terre-Neuve. Mais les terre-neuvas
se considéraient comme les seuls vrais marins et
méprisaient les autres catégories comme l'explique
un ancien de la grande pêche :
çu (ce) malaucoeux (prétentieux)
/ il a jamais perdu sa cmineille (cheminée)
de vue / il a même pas décapelé
(dépassé) la jetée // c'était
dit pour les gens qui naviguaient sur les caïques /
ils partaient une journée / tandis que nous / les
terre-neuvas / c'était pas le même métier
Un terre-neuvas se souvient de son premier départ :
à mon premier embarquement
à Terre-Neuve / le capitaine dit à mon frère
[citation] Delaunay / arrime (313) (instruis) tan (ton) fré
(frère) / disi (dis-lui) que s'il perd
ses effets (314)
/ il va fallé (falloir) qu'il les paie [fin
de citation] ça commençait bien
Revenons à Yport où nous allons maintenant
décrire comment se présente le bord de mer.
[3.3.1] Le bord de mer
Les Yportais, spécialement les pêcheurs
et les pêcheurs à pied, emploient différents
microtoponymes (315), anciens ou nouvellement créés
par eux, pour désigner les endroits où ils
passent : lieux du rivage, sources, rochers et
accidents de terrain divers situés de Vaucottes à
Fécamp. Certains de ces microtoponymes figurent sur
la carte IGN 1809 ouest (série bleue), aucun ne se
trouve sur la carte de Cassini et, seule, la Roche aux
Anglais est attestée par le dictionnaire topographique
de de Beaurepaire (1982:849b). Depuis la disparition des
pêcheurs professionnels, la création de microtoponymes
semble moins productive. Nous constatons, avec un témoin,
qu'un cap en aval d'Yport ferme le port :
<c'> est le Chicard
/ avant ça s'appelait la Mitaine / parce qu'elle
était debout / ça faisait comme une mitaine
/ comme un doigt / une petite porte mais bon elle est tombée
/ le Chicard c'est tout le morceau de falaise [Une
rubrique du Courrier cauchois du 01.09.01, p. 64,
annonce " Le Chicard s'effondre à Yport, 1000
m3 de falaise disparaissent ". C'est le lundi 27.08.01,
vers 11heures 15, que s'est produit l'éboulement]
La description de la plage se poursuit :
juste après le Chicard
/ y a un truc qu'on appelle l'Autel / ça tient
à la falaise / ils || appellent ça l'Autel
parce que ça a une ressemblance avec une (sic)
autel à l'église
Nous demandons comment se présente le rivage quand
la mer baisse :
d'abord on a le perreu
(perrey plage de galets) / c'est le cailloux / quand
la mer descend / on dit y a de l'èbe (316) / puis quand la mé (mer)
monte / on dit / y a du flot (317) / la marée ramène des
fois des gros bitars (318) (cailloux) au bord // après c'est
le râtet(319) / c'est un plateau / après on
dit / on est dans le roqueu (rocher) / et là
il y a des rnets (320)
(renets sillons) où on va pêquer
(pêcher) les vignots
Nous présentons une carte au témoin pour qu'il
nous indique différents lieux de la plage :
là / quand c'est découvert
/ y a le chenal (321) et au bout la Mare (322)
ronde / de l'autre côté / vous avez les
Pions / c'est des morceaux de rochers mais ça
fait comme des pions d'échecs / ils sont disposés
de place en place et on dit / on va sur les Pions
/ après / y a la Caillouillée (323) (Caillouillère) / <c'>
est là qu'y a des tourteaux // après y a la
Mare au vapeur / c'est là qu'un bateau
s'est échoué [le Psyché] / la Mare
a la forme de la quille du bateau qu'est restée dans
le rocher // après / on arrive à l'Echo
(324) des foutaines (fontaine
source)
Nous voulons savoir si à Yport, comme à Senneville,
on fixait des perches dans le rocher pour y tendre des filets,
l'ensemble étant appelé un par (parc) :
un perquier (pêcherie)
qu'on appelait ça // des pars (parcs)
/ c'était des réservoirs à poissons
/ creusés dans le râtet / avec une planche
et un cadenas // autrement un par (parc) / c'est
pour les huîtres // autrefois / y en avait dans la
Mare à vignots / elle est sur le râtet
en face du Chicard /<c'> est là qu'y
avait le perquier (pêcherie) à
(au) Pé (père) Tranquille / avant y
a les Foutaines (fontaines sources) / elles
sont avant la Hauteur du parc / après le Qui
(325) du
chaland / après c'est le Câti /
on va dans le Câti / pêquer (pêcher)
les moules / et puis les femmes allaient là laver
le linge des matelots / elles partaient avec la hotte pleine
à baï (326) (à ras bord) // les draps / on
allait les perrer (étendre sur le perrey)
sur le port
Nous laissons le bord de mer pour examiner la falaise et
découvrir d'éventuels noms de lieux :
vers Grainval / vous avez les
Episseuses (327) / parce que dans la falaise / ça
fait des épis de marne qui montent / qui sont séparés
par de la terre // un épissoir / on dit pas un épissoir
/ on dit passe-moi l'épisseuse (épissoir)
// y avait aussi la Bouteille / avant les bains de
Fécamp / une forme de bouteille dans la falaise
Nous disons avoir remarqué quelques gros rochers
et demandons s'ils portent des noms :
su (sur) le râtet
y a deux roches / les deux grosses Roques (roches)
du râtet / une qu'est plus plate / l'autre
qu'est plus haute / et après ça fait un creux
et après c'est la Valette (328) / plus loin y a trois roques
(roches) qui sont dans l'alignement l'une de l'autre / on
appelle ça les Pucelles // la Roche qui
pleure c'est à Grainval / c'est même pas
une roque (roche) / c'est dans la falaise / ça
suinte sur la paroi // la Bonne pierre / je sais
plus où c'est
Nous racontons qu'à Senneville, à la marée
basse, on peut voir des banques (329) (rebord d'une crevasse) et des carnias
(330) (chenaux de
jusant) et désirons savoir si, configuration du rivage
et termes, se retrouvent à Yport :
y a des pointes qui s'avancent
dans la mer que l'eau passe dessous / on appelle ça
des échos (chenaux de jusant) / y en a un
/ c'est l'Echo Miché (Echo Michel)
// vous marchez dans le roquer (rocher) / puis tout
d'un coup / y a un écho / alors il faut dchendre
(descendre) l'écho qu'est la hauteur de la
table ou même peut-être plus
De même qu'à Senneville les pêcheurs
yportais, après les tempêtes d'automne, allait
inspecter ce que la mer aurait pu rejeter :
on allait fé
(faire) la lème (331) / c'est aller sur tout le pourtour du
rivage / et puis aller à la grage (litéralement
" aller à la drague ") / ça se pratiquait
que sur la plage d'Yport quand l'été était
fini / quand il y avait les marées de mauvais temps
/ les galets s'en allaient / alors dans le sable on trouvait
des alliances / des pièces de monnaie / il y en a
qu'ont trouvé des bagues
Un témoin nous montre une photograhie de la plage
et indique deux grands bassins remplis de baigneurs :
alors là / c'était
la Mare à (aux) Parisiens (332)
et puis là la Mare à (aux) Yportais
/ c'est qu'on se mélangeait pas // les caloges
(cabines) de bain / les Yportais y avaient pas droit
On sent bien, dans le ton de l'informateur, la discrimination
dont il s'est cru victime quand, enfant, il lui était
interdit de se mêler aux petits Parisiens.
C'est que la direction du casino louait une partie de la
plage. Elle y avait installé bain et cabines réservés
exclusivement à ses clients ce qui créait,
chez certains Yportais, un sentiment d'exclusion.
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