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[3.2] La vie familiale
La vie familiale, telle que nous l'avons décrite
à Senneville, est aussi celle que l'on nous a dépeinte
à Yport avec le même lexique régional
et dialectal. Mais des items nouveaux ont été
apportés dans les témoignages des informateurs.
Ce sont ces items que nous allons introduire, à l'aide
des séquences où ils apparaissent, pour décrire
certains aspects de la vie à Yport.
A Yport, il y avait différents quartiers. Le témoin
se souvient de quelques uns :
à Yport / il y avait
des clans / les Yportais / le Port vert <c'>
est devant le perreu (perrey plage de galets)
// la Cour Esnault / c'était un quartier de
matelots et puis il y en a un / un Esnault / qui a fait
construire sa maison dans cette cour // dans le Fond
du veu (val) / y avait aussi des matelots / mais ils
naviguaient sur d'autres bateaux qu'à Yport / c'étaient
des Fonduvalais
Comme ailleurs dans le pays de Caux, de nouveaux venus,
peut-être même un conjoint d'un autre village,
étaient d'abord considérés avec méfiance :
on disait / <c'> est
un rahucheu (79) / ça voulait dire horzain (80)
(étranger au village) / mais le rahucheu il
reste sur place / il vient habiter / c'est plutôt
une pièce rapportée / qui peut se marier à
Yport
Que l'étranger ne se méprenne pas s'il entend
demander :
qui que (qu'est-ce)
tu dis (81) (= comment vas-tu) // qui qui (qu'est-ce
qu'il) dit tan (ton) pé (père)
(= comment va ton père)
Les formules employées pour se dire au revoir ne
diffèrent pas à Yport de celles qui se rencontrent
dans le pays de Caux,. On se sépare en disant à
tontôt (à plus tard) ou boujou (bonjour
au revoir) ainsi que boujou bien (au revoir).
Mais, si on se sent particulièrement heureux et si
on veut souhaiter la prospérité à celui
que l'on quitte, on dira :
boujou pis des bobons
(bonjour puis des bonbons) / des [boules de] gommes
pou les poulots(82) (pour les enfants)
La formule ci-dessus est toujours très employée,
souvent réduite à seulement boujou pis
des bobons.
[3.2.1] Les surnoms et les traits de caractère
Les surnoms, donnés aussi bien aux
hommes qu'aux femmes, sont particulièrement nombreux
à Yport et, ainsi qu'on nous l'explique :
les gens d'Yport / ils ont
jamais leur prénom / leur nom de famille est raccourci
ou il manque une syllabe / et si ils s'appellent Jean on
va les appeler Pierre
Et, en effet, un témoin qui raconte une anecdote,
déclare :
[...] elle demande à
Julienne qu'on appelait Florence [...]
Plusieurs témoins nous confirmeront ce qu'exprime
un témoin dans la séquence suivante :
faut nous dire le surnom pour
savoir qui c'est / pas le nom de famille
Il était très courant autrefois d'appeler
les personnes en âge d'avoir des enfants le pé
(père), la mée (mère) si bien
qu'un grand nombre de surnoms comporte ces items, par exemple
pé Tranquille, mée Bonne. Quand
les enfants portaient le surnom de leur père ou de
leur mère, celui-ci était souvent précédé
de ti (petit) ou tite (petite), ces appellatifs
ne faisant que rarement référence à
la taille et, par exemple, ti Berlingot est le fils
de pé Berlingot. Beaucoup de surnoms ont une
relation avec le prénom, le sien propre ou celui
de son père ou de sa mère et, par exemple,
la Tina s'appelait Valentina, le pé
Milo, Emile, la mère de pé Cité,
Félicité. Le surnom peut indiquer une
origine, le mari de la Belge est originaire de Belgique,
la mée Malplaque du Havre (voir supra
§ 3.1). Il peut faire référence à
une particularité physique, un défaut de prononciation
ou un tic de langage et c'est ainsi que l'Eguigneu
porte les traces d'une blessure au cou (voir § 3.3.2.4),
Ce que de bégaillait. Le surnom pouvait aussi
être dû à la profession : pé
Breuillot (voir § 3.3.2.6) ramassait les breuilles,
Gros pêqueux était un pêcheur
tout à fait exceptionnel. D'autres sobriquets, comme
la Turlutte (83)
ou Caouï, sont aujourd'hui plus énigmatiques
et personne n'a pu jusqu'à maintenant nous en expliquer
l'origine. Des Yportais ont dressé des listes de
près de trois cents surnoms qui sont toujours plus
ou moins en usage, puisqu'ils ont été transmis,
dans certains cas, depuis plusieurs générations.
Mais, selon ce qui nous a été confié,
on n'a plus donné de nouveaux surnoms après
la guerre.
Des termes péjoratifs étaient appliqués
à des personnes en fonction d'un trait particulier
de leur caractère :
y a des femmes évanies(84) (écervelées) et puis une
mondiane(85) (femme extravagante) / c'est une femme
excentrique // un vieux cassot(86) (vieille fille chicanière) / <c'>
est une jeune fille qu'avait pas marié / souvent
serpette(87)
(d'un abord difficile) / mais cassot (sexe féminin)
/ <c'> est aussi le sexe de la femme et celui de l'homme
c'est la baisette(88)
(verge) // normalement / une grage(89) (drague) / c'est une drague / mais eune
vieuille grage / <c'> est aussi une
vieille bonne femme // et un homme grand et autoritaire
/ on disait / <c'> est un grond (grand) fis
(fils) de garce
On nous explique comment on nommait les personnes dont les
intentions ne semblaient pas honnêtes, et même
concupiscentes :
un vieux macret (90)
(vieux maquereau) / c'est un vieux cochon / un coureur de
jupon d'un certain âge / et quand c'est une femme
/ mais alors une jeune / c'est une mo(r)ue (91)
(morue fille débauchée) // un senteux
(92) (homme lascif) / c'est un type louche
qui serre les femmes de trop près
On nous apprend les deux sens que le verbe entincher
pouvait avoir à Yport :
entincher (93)
(provoquer) / ça se dit pour quelqu'un qui cherche
la bagarre // mais ça se dit surtout des jeunes filles
un peu volages / un peu délurées / qu'ils
(sic) entinchent (provoquent) / quand ça risque
de mal tourner on dit / t'avais qu'à pas l'entincher
Les flatteurs existent à Yport ainsi que les termes
pour les nommer :
une dôlache (94) (flatterie) / c'est une vague caresse
/ et un dôleux (95) (flatteur) / c'est un flabin (96)
(flatteur) / un flagorneur // alauser (97) (porter une admiration exagérée)
/ c'est comme porter sur quatre boisettes (98)
(porter aux nues)
Différentes expressions indiquent la mauvaise humeur,
certaines liées au vocabulaire maritime :
quelqu'un qu'est de mauvais
poil en se levant / on dit / il est sû (99)
(sur de mauvaise humeur) il est mal réveillé
ou il grignei.grigner; sû (100) / il est pas souriant // il a la
gueule à vent debout / ou encore / il a pas
la figuë pessonneuse (a pas la figure
poissonneuse = il est de mauvaise humeur)
Une femme, peu satisfaite des qualités de son mari,
peut déclarer avec ironie :
è sieus (je suis)
bié (bien) hâquée (101) (lotie) avec cheu (ça)
Quand un bavard, également menteur, raconte des histoires
qu'il n'a pas connues comme s'il les avaient vécues
lui-même, on s'exclame :
il est plus vieux que san
(son) grond-pè (grand-père)
Tous les Yportais ne sont pas de caractère gai, ouvert
et aimable. On nous donne des exemples :
XX / il était buleu
(102) (introverti) / il vivait dans san
(son) limon (103) / il parlait pas / on l'a jamais vu
afforieu (104)
(excité) // et puis y en a qui trouvent plaisir à
fé (faire) vé (voir) Robert
(105) (à ennuyer) / à déranger
/ à amâper (106) (réprimander) le monde
On nous fait connaître une formule qu'on nous dit
être yportaise :
vous allez en ville acheter
un truc que vous trouvez pas / vous dites / y avait ni
foute ni mouille (107) (rien)
Divers adjectifs et locutions servent à qualifier
ceux qui se révèlent peu habiles, présomptueux
ou pas très honnêtes :
un ripoleux (108)
(incapable) ou encore un gobeux (109) (incapable) / ils ont point de raisonnement
/ on dit aussi un fatras de marène (fatras
de marine incapable) / et un comenon (110) (prétentieux) c'est un faiseux
(faiseur) d'embarras / un gommeux (111) qui fait la mouche du coche / s'occupant
de tout et de rien / un malaucoeux (112) (prétentieux) // un guigna
(113) (loucheur)
il voit pas très bien mais guigna (incapable)
/ c'est aussi une insulte / c'est un bon à rien /
c'est comme un galimafieu (114)
(galimafia incapable) mais le galimafieu /
en plus / il est un peu louche
Nous n'avons pas recueilli que des traits négatifs :
il est point d'élémunt
(115) (est point d'élément
facile à vivre) / il est pas dérangeant //
cti-là (celui-là) il est rogueu(116)
(rogué fort) / plein d'énergie / pas
feignant et costaud
L'enfant trop sensible risque d'être la risée
de ses camarades. Quand ceux-ci le voit les larmes aux yeux,
ils chantent cruellement :
il est prêt-t-à
mûler (117) (pleurer)
Et finalement, un témoin nous rapporte un événement
extraordinaire arrivé dans la ville et conclut :
tout Yport n'nétait
(en était) blu (118) (bleu stupéfait) / on
n'en revenait pas / tout le monde en parlait / dans chaque
rue / dans chaque ruette (119)
(petite rue)
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