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3 - LA VIE DES PECHEURS YPORTAIS

Nous allons faire, racontée par ceux qui l'ont vécue, une description de la vie quotidienne d'autrefois à Yport. Nous commencerons par rappeler les sobriquets donnés aux pêcheurs de la côte cauchoise.

[3.1] Sobriquets de quelques habitants de la côte

Dans tout le pays de Caux, on sait que les Maqueux d'oeilles (mangeurs d'oreilles) sont les habitants de Montivilliers, petite ville de la banlieue du Havre. Peu se souviennent aujourd'hui que le surnom viendrait d'une querelle à propos de la beauté de leurs églises respectives. Si Maqueux d'oeilles est encore aujourd'hui, pour beaucoup, synonyme de Montivillon, les surnoms employés par les pêcheurs restent généralement assez confidentiels et ne sont pas connus des agriculteurs.

Pour qualifier les habitants des villes et villages en amont de Fécamp, les Yportais utilisent parfois le terme Sourd mitaine mais surtout Amontais :
l'amont d'Yport / c'est après Fécamp / pour nous / Fécamp c'est le centre / quand on parle des Fécampois / on dira pas c'est des Amontais / mais que ce soit Senneville / Elétot / Saint-Pierre jusqu'à presque Dieppe / mais plus à Dieppe / c'est des Amontais

Cependant, le terme Amontais (58) est réservé aux côtiers et un Yportais précise :
tous les paysans / les péquenauds de la compagne (campagne) / pour nous <c'> est des Mâqueux (mangeurs) de rapti (59) (tige sèche de colza) / des Mâqueux de cossard (60) (colza) / des culs de bettes (betteraves)

Un marin yportais nous raconte comment il nomme les Dieppois (que certains disent d'origine vénitienne, voir § 1.2.2) :
pour nous / tous les gars de l'amont / c'était des Amontais / mais / quand on parlait des Dieppois / on disait les Daguos (61) (Dieppois) / et puis ceux du Pollet [quartier de Dieppe] / il y en a qui les appelaient les Harengs

Signalons que le surnom de Magot, donné par les Dieppois aux Tréportais, n'est pas connu à Yport. Un autre marin nous parle de Saint-Valery et de ses habitants :
nous / on dit Saint-Valdy (Saint-Valery) / et puis les habitants c'est des Pigneux (62) de quins / les quins à dards (aiguillats) / ils || empêchaient les harengs de passer / alors / les Valiquais (63) (Valeriquais) pêchaient rien que des quins à dards

Un nouvel informateur propose une autre hypothèse de l'explication du sobriquet :
les mecs de Saint-Valery / <c'> est des Pineux (64) de quins / quand ils pêchaient des quins; / ils les faisaient piner (65) (mûrir) / <c'> était les laisser pendre eum ptieu (un peu) au soleil / pou (pour) qu'ils sèquent (sèquent) / comme on fait piner une raie ou un saillot (66) (baudroie) // aujourd'hui / on dirait faisander

Les Valeriquais sont-ils des Pigneux ou des Pineux de quins ? Autant d'Yportais interrogés ont employé l'un ou l'autre des deux termes, tous les Dieppois ont dit Pigneux. Pour un pêcheur de Saint-Valery, l'explication du surnom est évidente :
c'est pas pigneux / c'est pineux // avant on pêchait les chiens à dard en pagaille / y en avait des tas sur le qua (quai) / au début que j'ai commencé le doris / on revenait à quatre cinq cents kilos de chiens chacun / alors on nous surnommait les Pineux de quins // dans le temps / y avait beaucoup de noms pour se moquer des gens // ils peuvent plus le faire maintenant / maintenant on n'en pêche plus // piner (67) / pineux / c'est des mots vulgaires

Les Saint-Martinais sont désignés par un terme qu'aucun témoin n'a pu nous expliquer :
à Saint-Martin / on dit toujours que c'est des Vôleux (voleurs) de poules / on demande [question] d'oyou (d'où) qu'il est [réponse] <c'> est un Vôleux de poules [constatation] alors on sait qu'il vient de Saint-Martin-aux-Buneaux

Un Yportais, qui nous fait remarquer une différence de prononciation entre son parler et celui de Fécamp, rapporte comment on appelait les habitants de cette dernière ville :
on disait des ridiâs (rideaux) / tandis qu'à Fécamp / les charpentiers de navires disaient des ridès / ils ouvraient terriblement les è / c'est pour ça que les Yportais les appellaient les Mâqueux de café au lait

Un autre témoin explique différemment le surnom appliqué aux Fécampois :
les femmes d'Yport qu'allaient r(a)mender à Fécamp elles partaient avé (avec) leux (leurs) chabots (sabots) / ils (sic) tricotaient en faisant la route // à midi ils se faisaient cui (cuire) deux harengs ou achetaient un bout de pâté / ils || achetaient à manger / et puis les Fécampnais (Fécampois = Fécampoises) / ils voulaient pas dépenser de sous pou (pour) manger le midi / donc ils beuvaient (buvaient) du café au lait pou (pour) pouvé (pouvoir) s'acheter des bas de soie pou (pour) le dimanche / on les appelait les Mâqueux de café au lait parce qu'ils se faisaient point à manger / c'était surtout les femmes dans les boucanes (68) (sécherie de poisson) / les r(a)mendeuses

Une locution employée pour désigner les Fécampois, et qui pouvait s'appliquer à tous les pêcheurs du quartier maritime (69) de Fécamp, était due à la qualité de leurs sous-vêtements :
les Fécampois ont très vite adopté une flanelle rouge / ils appelaient ça une flanelle hygiénique / mais ça déteignait sur la peau / alors on appelaient ceux du quartier [maritime] de Fécamp les Peaux rouges

Une fille de pêcheur précise les qualités de cette flanelle et comment éviter sa coloration sur la peau :
pour la chaleur / papa disait que le soleil passait pas à travers la flanelle / alors / même l'été / papa mettait sa flanelle rouge // mais en dessous de sa flanelle rouge il mettait une petite chemisette / alors il avait pas la peau rouge

C'est la forte inclinaison du perrey (70) (plage de galets) d'Etretat qui aurait donné aux pêcheurs de la ville leur surnom. Remarquons, dans la séquence suivante, comment un Yportais appelle les habitants d'Etretat :
les Etretalais (Etretatais) poussaient leurs canots pour les remettre à l'eau / avec leur dos bien sûr / alors les Yportais les appelaient les Dos plâts / ils ajoutaient [citation] et puis ils ont tellement le dos pleu (plat) que quand il leu (leu) passe un pesson (poisson) entre les gambes (jambes) ils peuvent point se baisser pou (pour) le ramasser

Madec (1982:123), renseigné par des Yportais, commente comme suit le sobriquet donné aux Etretatais : " L'explication des Yportais est que, sous certaines conditions de vent, les pêcheurs d'Etretat ne pouvaient sortir du `port', alors que ceux d'Yport le pouvaient. Lorsqu'ils passaient devant leurs collègues désoeuvrés malgré eux, ils disaient que les Etretatais faisaient le `dos plat', c'est-à-dire qu'ils restaient dans leur lit ". Un autre surnom est encore appliqué aux habitants d'Etretat par les Yportais :
oui y avait un petit Vignard / qu'avait navigué avec François / on l'appelait jamais de son prénom / on disait toujours le petit Vignard / parce qu'il était d'Etretat / pour nous Vignard / Dos plât / c'est pareil / c'est des Etretalais

Des témoins ont suggéré que Vignard désignerait les pêcheurs à pied de vignots, pour les opposer aux pêcheurs en bateau. Mais le Vignard (71) cité dans la séquence ci-dessus n'a jamais été pêcheur à pied. Pour les Yportais et les autres marins du littoral, les Havrais sont des Malplaques (72) et voici l'explication que l'on nous a proposée :
dans le temps / quand les paquebots accostaient au Havre / il y avait des porteurs qui venaient proposer leurs services aux voyageurs pour porter les colis / les valises / les malles / tout ça et / on devait les reconnaître / ils avaient une plaque / mais il y en avait des faux justement qui était des malplaqués / des faux porteurs / puis après on a généralisé et tous les Havrais sont devenus des Malplaques

Un autre témoin pense que le surnom serait lié au fait que les Havrais ne respectaient pas la réglementation maritime :
c'est parce qu'ils naviguaient à la plaquebole (73) (sans respect pour la réglementation) / ils s'en allaient à la (mer) mal gréyès (gréés) / nous si un batiâeau (bateau) était pas tout à fait bien gréé / on disait // il navigue à la plaquebole

Un informateur nous explique la locution gréé à la malplaque qui, selon lui, est encore en usage entre Etretat et Le Havre :
les Etretatais plombaient leurs casiers avec des galets percés fixés aux quatre coins / les Havrais disposaient des plaques de métal qu'ils plaçaient sous le plancher du casier / si bien qu'ils disaient que les Etretatais étaient gréés à la malplaque

Si l'explication ci-dessus peut être retenue, il aurait été plus logique que le surnom de Malplaques incombe aux Etretatais. Tel a peut-être été le cas dans un premier temps. On pourrait penser qu'ensuite les Etretatais ont renvoyé leur surnom aux Havrais. De Fécamp à Etretat, les Bénouvillais sont généralement appelés les Sorciers (74) et un Etretatais né en 1921 confie :
nos grands-parents nous empêchaient d'aller à Bénouville / y en a qui fichaient des sorts

Un Fécampois tend vers nous ses deux mains où le pouce, replié dans la paume, est caché par les autres doigts :
on faisait comme ça / quand on passait à Bénouville / pour conjurer le sort

Un Yportais évoque sa jeunesse :
pour conjurer le sort des sorcières de Bénouville / car c'était des femmes / on allait en pèlerinage à Vattetot-sur-Mer / quand une femme voulait faire du mal / elle s'en prenait souvent aux enfants avec des maladies de peau / quand c'était plus guérissable / on allait / moi je me souviens / on allait à Vattetot / et le prêtre se tournait vers Bénouville et disait que la puissance maléfique venait de là

Nous essayons d'obtenir encore plus de précisions sur ce qui avait donné aux Bénouvillais leur réputation :
un coup XX / un gars qu'avait un oeil farce (75) (bigle) / il dit / vous avez des oeufs / je vous dis qu'ils vont point cui (cuire) / il avait réussi à empêcher les oeufs de cui (cuire) / parce que li (lui) / il était de Bénouville // à Bénouville / ils || ont fait chanter des coqs sur le dos d'un cheval

Et finalement, un témoin explique comment a été construite à Bénouville la valleuse (76), dite du curé :
y a un curé / il paraît que les sorciers du village / il avait voulu les exorciser / alors ils || ont dit / ah / tu te crais (crois) malin (toi) le curé et bien pou (pour) ta peine / tu vas (voir) ce que tu vas (faire) / <c'> est eux qui lui ont fait percer la falaise / ils l'ont obligé à faire trois quatre marches tous les jours

Nous avons trouvé d'autres précisions sur la construction de cette valleuse : des documents (77) nous ont indiqué qu'elle doit son nom à l'abbé Desson-de-Saint-Aignan qui fit tailler dans la falaise, en 1883, un escalier de 283 marches destiné à permettre un accès direct à la mer aux pêcheurs locaux. En juillet 2001, le Courrier cauchois (28.07.01, p. 11) signalait par un article intitulé " De profondis pour la Valleuse du curé " l'effondrement de cette partie de la falaise. Bénouville est une localité souvent mentionnée dans la région pour des raisons que nous évoquerons plus bas (§ 3.3.2.2).

Le Mont Rôti est un lieu-dit situé à six kilomètres du bord de mer. Il était très bien connu dans la région du fait que ses habitants, les Vôleux (voleurs), s'y déplaçaient pour vendre leurs produits et a été spontanément cité par les témoins. Le récit suivant est fait par un Fécampois qui apporte également des précisions sur la prononciation des Yportais, comparée à celle des autres habitants de la région :
on mettait sa main sur ses poches pour passer au Mont Rôti / parce que c'était des vôleux (voleurs) / ils ne vivaient que de rapines / ils fabriquaient des balais de brindilles / ils allaient couper sans scrupule dans les bois des gens des petites branches minces / et puis ils les liaient avec une paille et les vendaient sans être emmanchés / ils partaient avec une hotte pleine de balais / alors il y avait la mée (mère) puis la fille qui allaient de porte en porte // la femme du Mont Rôti passait la tête [citation] il en faut-ti (faut-il) des bâlais [reprise du récit] puis elle dit à sa fille de prendre la rue en face et de faire pareil / puis au bout de la rue / la fille rejoint la mère qui lui demande [citation] qui qu't'as fait (qu'est-ce que tu as fait ) [réponse de la fille] j'n'ai pin vendu (je n'en ai point vendu) / ils n'en veulent pin (point) / y en a un qui m'a dit / a ben marde pou ta (et bien merde pour toi) [commentaire du témoin] c'est l'accent d'Yport / ils disent ta (toi) / le Cauchois dit (toi)

Remarquons que le témoin ci-dessus, de même que de nombreux informateurs que nous avons interrogés sur ce point précis, ne considère pas comme Cauchois les habitants de la côte. Mais ce qui ne ressort pas de son témoignage, c'est que les habitants du Mont Rôti pouvaient inspirer une certaine frayeur, comme le raconte cet Yportais :
y avait une usine à bâlais / ils faisaient des bâlais de brinches (78) (brindilles) / alors le dicton disait [citation] oh des bâlais bruns / qui bâlient (balaient) très bien / des petits bâlais neus (neufs) / qui bâlient (balaient) tout seus (seuls) [fin de citation] c'était des gens qu'étaient forts / quand on passait par là / on regardait par la fenêtre / on disait / y a le bâlai de brinches qui bâlit (balait) la maison tout seu (seul) / on n'était pas bien rassuré

Nous venons de mentionner des sobriquets appliqués aux habitants de communes côtières. Ces sobriquets, parfois peu connus hors des milieux de pêcheurs, liés à une activité de la ville ou à une particularité de sa population, semblent avoir été donnés par moquerie par les habitants des localités voisines. Seuls les Yportais, qui revendiquent leur surnom avec véhémence, le voient comme la preuve de leur origine étrangère.


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