1 - INTRODUCTION
[1.1] But du travail
Située sur la côte cauchoise,
Yport est une petite ville qui se distingue de celles de
la région : on dit que le langage de ses
habitants est incompréhensible. Ayant étudié
le parler de Senneville-sur-Fécamp (Schortz 1998),
village qui se trouve à une dizaine de kilomètres
d'Yport, nous avons l'intention d'examiner le parler de
cette dernière localité et d'essayer d'observer
s'il comporte, ou a comporté, des traits régionaux
et dialectaux qui ne se rencontrent pas ailleurs dans le
pays de Caux et ont justifié la réputation
de la ville. Pour réaliser notre but, nous avons
fait une série d'enquêtes à Yport ainsi
que dans d'autres bourgades cauchoises de la côte
et du plateau afin de comparer les traits dialectaux que
nous y aurons recueillis dans les domaines de la phonétique,
de la morpho-syntaxe et du lexique.
Un deuxième objectif de notre travail sera d'introduire
le lexique dialectal, aujourd'hui inusité ou en voie
de disparition, que les témoins ont employé
pour décrire certains aspects de la vie à
Yport.
[1.2] Yport
Comme nous le constaterons plus bas
(§ 1.2.2), certains voient dans la graphie Yport
une origine grecque de la ville. L'étymologie du
toponyme n'est pas entièrement élucidée
et seul l'élément latin portus " port "
a été identifié. La forme Isport
attestée en 1217 et en 1262 ne permet pas, selon
de Beaurepaire (1979:167), de déterminer le premier
constitutif de l'item. D'après Cochet (1862:371),
l'attestation Icport, relevée sur d'anciennes
cartes géographiques, permettrait d'y voir Iccius
Portus.
[1.2.1] La ville et ses activités
Yport est un port d'échouage de 1033 habitants d'après
le recensement de 1999. Une étude de Boulard (1914),
qui relate l'histoire de la ville depuis l'époque
préhistorique et décrit les périodes
gauloise, romaine, franque, les invasions normandes, nous
montre l'évolution de la ville de Philippe-Auguste
à la Révolution et ensuite jusqu'aux années
1900. Boulard explique comment Yport, située sur
le bord de mer mais faisant partie de Criquebeuf-en-Caux
sise sur le plateau, obtient de devenir une commune indépendante
en 1842. Deux ouvrages récents, largement illustrés
de cartes postales anciennes, montrent les Yportais au début
du siècle. Lemaître (1992) a fait une compilation
de textes de la presse locale et de témoignages du
début du siècle sur Yport. Nous apprenons
ainsi comment cette ville devient vers 1850 une station
balnéaire à la mode. Un établissement
spécialisé dans les bains de mer au varech
avec quatre-vingts cabines sur la plage y avait été
construit et l'inauguration du casino eu lieu le 20 août
1865. Delaunay (1994) présente les rues de la localité
avec leurs commerces, leurs activités et leurs habitants,
du siècle dernier à aujourd'hui. Son ouvrage
est devenu un livre de référence pour de nombreux
Yportais. Outre qu'ils y retrouvent, au long des artères
de leur cité, l'histoire de chaque demeure et donc
aussi de la leur, des anecdotes apportent gaité et
chaleur à la rigueur scientifique du texte.
Jusqu'aux années soixante, la population d'Yport,
comme celle des autres villages du littoral, vivait essentiellement
de la pêche. Aujourd'hui, sur la côte cauchoise,
seules les villes de Dieppe et de Fécamp conservent
encore une certaine activité dans ce domaine. Mais
il ne reste, ni à Yport ni dans les autres petits
ports côtiers, un seul pêcheur professionnel
et, si l'on peut voir sur les plages de galets des bateaux
de construction traditionnelle et des cabestans en usage,
ils ne servent plus qu'aux loisirs des habitants appartenant
aux anciennes familles de marins. Les Yportais sont devenus
fonctionnaires, travaillent dans les petites entreprises
de la région et certains, toujours pêcheurs,
sont embarqués sur des bateaux au Havre, à
Fécamp, à Dieppe ou même à Boulogne.
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