A Yport comme ailleurs, il n'y a plus de marins, plus de bateaux
ni de poisson. Les dernières caïques ont été
désarmées dans les années soixante et
seules subsistent quelques plates armées par des particuliers
pour qui ce n'est plus qu'un loisir. La boucane d'Yport, ancien
établissement Lecanu qui employait de nombreux yportais
a fermé ses portes dans les années 80.
Combien de marins professionels reste-t-il à Yport
? Sûrement moins que les doigts des mains d'un manchot
à crochet. Le phénomène certes n'est
pas spécifique à Yport. A Fécamp, il
ne reste plus que quelques petits chalutiers et le port se
tourne, avec succès, vers la plaisance.
La population yportaise diminue lentement à chaque
recensement. A l'apogée du village il y a un siècle
et demi, on comptait 1800 yportais. Aujourd'hui, il ne reste
plus qu'un millier de résidents non-secondaires à
résider à l'année. Les maisons traditionnelles
jugées trop petites par les "locaux" sont
vendues en résidences secondaires. Conséquence
de cette mutation : les plateaux environnants sont envahis
de lotissements pavillonnaires qui uniformisent si bien le
paysage.
Ne jetons pas la pierre aux "résidents secondaires"
: ce sont eux souvent qui sauvent notre paysage en achetant
ces maisons, en les restaurant souvent avec goût, toujours
avec passion, quand les "locaux" délaissent
cet habitat pour vivre dans des lotissements si pratiques.
Un jour peut-être comprendrons-nous ce paradoxe : nous
partons en vacances pour y voir un paysage si typique, si
"traditionnel" et preservé, en nous extasiant
"qu'on savait construire à l'époque !"
alors que nous gâchons notre paysage quotidien et banal
au point de ne pas comprendre que la beauté commence
au pignon de sa maison.
Architecturalement, le village n'a globalement pas changé
depuis le milieu du 19e siècle. Mêmes maisons
de brique et de silex, toits d'ardoises et ruelles tortueuses.
Un air iodé et une population qui lui donnent encore
l'atmosphère qui avait dû séduire Maupassant.
Mais combien de temps Yport pourra-t-il compter sur sa réputation
passée ? Et que deviendra Yport dans les prochaines
années ? Yport fut cité maritime pendant plus
de mille ans. Quarante années auront-elles raison de
ce passé ? Il faut espérer que non. Aujourd'hui,
la commune ne survit que grâce à deux atouts
majeurs : le Casino avec ses machines à sous et le
tourisme estival. Une réalité que déplorent
certains yportais et résidents secondaires aveuglément
soucieux de leur tranquillité, mais qui assure une
certaine aisance financière à la commune et
permet d'assurer le renouvellement des principales infrastructures
(réfection des rues, éclairage, front de mer...).
Mais l'infrastructure ne fait pas tout et l'aménagement
paysager ne donne pas une âme à un lieu. Si des
opérations de mise en valeur du patrimoine ont eu récemment
lieu, elles ne sont pas le reflet d'une politique culturelle
et globale. Au point que l'on peut considérer qu'il
n'existe jusqu'à présent à Yport aucune
réelle prise de conscience officielle des enjeux culturels
et économiques d'une réflexion suivie sur le
patrimoine local.
Suivent quelques pistes de reflexions, non exhaustives bien
sûr... Elles sont libres de droit, donc utilisables
à volonté !
Promotion / Publicité :
- Reprendre la très intéressante plaquette "Yport
au fil des rues" dans une maquette plus "professionnelle"
et traduite en plusieurs langues (anglais/allemand).
- Réaliser un véritable site internet officiel
multi-langues, moderne, à jour et attractif. Le site
actuel donnant une image... comment dire ?
Patrimoine bâti et immatériel :
A l'heure actuelle, seules quelques timides tentatives d'animation
du patrimoine ont été entreprises. Elles ont
eu le succès que leurs moyens leur permettaient. A
l'heure du développement touristique et de l'interêt
croissant pour le patrimoine, il est aujourd'hui nécessaire
de réflechir à une politique patrimoniale globale
et cohérente. Au delà de la réappropriation
de son histoire et de son territoire par la population, il
s'agit d'un enjeu économique important.
- Proposer une aide à la rénovation de maisons
anciennes par un soutien "logistique" : dossiers
d'aide à la restauration "prêts à
l'emploi" (méthodes de rénovation, styles
locaux, artisans agréés, aides publiques possibles...),
travailler en relation avec le C.A.U.E. 76... Et surtout ne
pas se contenter des règles édictées
dans le POS. Transformer l'obligation en incitation, donner
envie et apprendre à connaitre. De nombreuses rénovations
sont faites aujourd'hui par des particuliers qui ont envie
de redonner un air "ancien" à leur maison
et l'idée mérite d'être soutenue et encouragée.
Car que se passe-t'il généralement ? La mode
est au ravalement façon "nougat" : on badigeonne
le mur d'un enduit jaune/beige laissant apparaitre de ci-de
là l'appareillage en silex. Or, ce type d'enduit va
à l'encontre des méthodes de construction anciennes
et du style traditionnel où le joint souvent se fait
discret, laissant la part belle à l'appareillage de
silex. Ce n'est pas la faute des propriétaires qui
pensent bien faire, il s'agit plutôt d'un manque d'informations
! Le rôle des autorités locales en matière
de protection du patrimoine ne se limite pas à obliger
à peindre ses volets en blanc ou marron, mais à
présenter les techniques de bâti traditionnel
et informer et suggérer plutôt qu'interdire !
- Je ne souhaite pas entrer dans les récentes polémiques
qui ont secoué le village à propos du front
de mer mais je ferai simplement une remarque : comment obliger
les particuliers à respecter les règles du POS
quand la totalité des matériaux employés
pour le front de mer (aluminium, marbre...) est en totale
contradiction avec l'esprit de l'architecture balnéaire
traditionnelle ? Peu importe que le front de mer ne ressemble
plus à celui des années 50 ou 60, il est légitime
qu'il évolue, il l'a toujours d'ailleurs fait. Par
contre, peut-on accepter ce non respect de l'âme locale
quand dans le même temps, la moindre rénovation
d'une habitation doit respecter un POS contraignant ? Comment
comprendre la construction d'un lotissement à l'entrée
du village (qui respecte certes les normes du POS mais non
l'esprit du lieu) ? Comment expliquer qu'il est interdit de
peindre ses volets en bleu sur le front de mer quand les cabanes
de plage sont blanches, noires... et bleues ?
On peut espérer que de futures constructions, autorisées
ou initiées par la Municipalité prendront en
compte qu'un espace urbain se définit par sa globalité,
quelque soit le maitre d'oeuvre. Il est temps, je pense, de
repenser sereinement la politique urbanistique du village
pour arriver à une cohérence dans les décisions
prises.
- Etudier de manière sérieuse et "dépassionnée"
la mise en Z.P.P.A.U. du village.
- Réflechir à la mise en place d'un parcours
urbain cohérent et signifiant constitué de panneaux
présentant l'histoire et les aspects patrimoniaux majeurs
du village. Ce principe est appliqué depuis longtemps
ailleurs (Paris, Rouen, Fécamp...) et permet une lecture
immédiate et simplifiée de l'apparente complexité
urbaine comme une réappropration de son environnement
immédiat.
- Cesser de penser Yport comme a-historique. L'histoire ne
commence pas en 1843 et le village n'a pas toujours ressemblé
à ce qu'il était en 1950. Evidence ? pas sûr...
Il est nécessaire de replacer Yport dans un contexte
géographique et historique plus vaste et de penser
son évolution. Il faut écrire son histoire,
la présenter et la diffuser. Non seulement ponctuellement,
comme ce fut le cas pour la brochure récemment éditée
"Yport terre promise" (truffée d'erreurs,
elle vise plutôt à une auto-glorification qu'à
une réelle présentation historique) mais également
dans un cadre élargi et déclinable en actions
à long terme. Je pense notamment à ce qui peut
se faire ailleurs comme la collection histoires d'agglo,
édité par l'agglomération de Rouen. Cette
collection présente des aspects méconnus de
l'histoire de l'agglomération par petites plaquettes
(format 10x12) d'une vingtaine de pages à parution
irrégulière. Les moyens financiers sont différents
bien sûr, mais l'idée reste valable et facilement
adaptable.
- Un petit "musée" ou du moins une salle
de présentation d'Yport sera integrée au futur
office de tourisme d'Yport. L'occasion est belle de présenter
l'histoire du village de manière sérieuse et
professionnelle en faisant par exemple appel aux services
des Musées de Fécamp. Sera-t'elle saisie ? Je
l'espère.
- Des études et recherches sont menées sur Yport
et son histoire. Ainsi, il y a quelques temps, Michèle
Schortz rendait publique son étude sur le parler d'Yport.
Occasion manquée. Conférence, proposition de
coédition du texte (avec les éditions des falaises,
par exemple)... Tout cela pouvait être organisé,
l'évènement était là, à
portée de main. Rien n'a été fait.
Tourisme balnéaire :
- Le front de mer qui a été refait récemment
a semble-t'il été pensé par des Yportais
non-utilisateurs de la plage, peu adeptes des pratiques balnéaires.
Promenade, boutiques, bancs, rembardes pour s'accouder...
Indispensable mais insuffisant. La plage a besoin d'équipements
plus "sportifs". Que n'a-t'on pensé à
un plongeoir au large ? Il y en avait un autrefois à
Yport, il y a des plongeoirs flottants sur la plage de Fécamp.
Quid d'un petit club de voile ? Les kayaks de mer, en 2005,
ont eu un énorme succès, un club de voile, même
de taille réduite n'en aurait pas moins.
- Une autre activité passée sous silence à
Yport : le surf. On surfe l'hiver à Yport. Que les
surfeurs ne veuillent pas dévoiler leur spot est compréhensible
; que la mairie ne communique pas dessus, l'est moins.
Politique culturelle :
- Penser une politique culturelle sur une année entière
et non plus sur la seule saison 14 juillet-15 août.
Jusqu'à présent, toutes les manifestations culturelles
et touristiques se pressaient dans un petit mois estival en
évacuant le reste de l'année. Ceci peut se comprendre
si l'on réflechit en terme de fréquentation
connue et attendue : les gens viennent à cette période
parce qu'il se passe quelque chose.. et il se passe quelque
chose parce que les gens viennent, et vice-versa...
Aujourd'hui le tourisme devient "déconcentré"
: la saison estivale rallonge (septembre), les week-ends de
vacances sont de plus en plus nombreux au cours de l'année...
Il convient de penser différemment (sans parler des
yportais qui, eux, sont là toute l'année).
Des initiatives remarquables ont été prises
en 2005 par une association yportaise avec un week-end "contes"
en novembre et un colloque sur Jean Lorrain. Il manque cependant
une politique officielle globale en ce sens.
- Développer et renouveler l'aspect "Yport, cité
des peintres". Le village s'enorgueillit, à juste
titre, des nombreux artistes qui sont venus, ont vécu
ou vivent encore aujourd'hui à Yport. Le 15 août
est la fête de la mer et de la peinture et un salon
d'artistes locaux a lieu en août. Des expositions d'artistes
locaux se tiennent régulièrement à l'office
de tourisme. Pourquoi ne pas être un tout petit peu
plus ambitieux en imaginant des résidences d'artistes
ou des expositions d'art contemporain (installations, multimédia...)
hors des classiques périodes estivales.
- Retrouver la vocation maritime d'Yport par des manifestations
diverses : "festival" de chants de marins, exposition
temporaire sur la pêche traditionnelle (en relation
avec les Musées de Fécamp)...
Yport possède des atouts dont rêveraient de nombreuses
communes : renommée, indice de sympathie élevé,
cadre architectural "préservé", situation
en bord de mer attractive, hébérgements nombreux...
Il serait dommage de ne pas en profiter et de ne vivre Yport
qu'en pantoufles en se remémorant le bon temps à
jamais disparu des caïques.
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