C'est principalement au cours du XIXe siècle qu'Yport
subit les plus grandes transformations. Le développement
de la pêche, l'indépendance de la commune puis les
débuts de la mode des bains de mer sont autant de facteurs
qui contribuèrent à donner sa nouvelle physionomie
au village.
Le village dans la première moitié
du XIXe siècle...Une description
peu engageante...
Les divers témoignages décrivant Yport dans la première
moitié du XIXe siècle sont pour la plupart
assez similaires.
En 1841, Morlet dans un ouvrage décrivant l'arrondissement
du Havre écrit à propos d'Yport : "On
s'étonne de rencontrer dans un vallon si étroit, une
population si nombreuse et si active ; des barques toujours à
la mer, le perray est toujours couvert de filets et de cordages,
les hommes, les femmes circulent perpétuellement dans les
rues pour vendre le poisson ou pour préparer les filets,
aussi malgré l'aspect misérable des chaumières
et des rues infectes, on ne trouve pas sous ces toits une seule
âme qui mendie." (1)
Quelques pages plus loin, en exagérant peut-être un
peu, il écrit : "En un
mot, Yport, c'est le moyen-âge, si l'on veut se faire une
idée de ce qu'étaient nos pères il y a cent
ans, il faut descendre chez ce peuple. C'est encore le même
langage, le même costume, les mêmes moeurs qu'il y a
un siècle ; les maisons sont construites de la même
forme, les barques sont charpentées sur le même gabarit,
les filets sont lacés sur le même moule, Les fêtes
de familles, les rites de l'église s'y sont conservés
dans toute leur splendeur." (2)
Pour ajouter au tableau, Michel Joachim nous précise que
la Grand'Rue est "un vrai cloaque,
pavé de débris de poisson, recouverts de paille à
moitié pourrie, exhalait une odeur fétide."
(3)
A cette époque, seule la grand'rue descend vers la mer, le
reste n'est que chemins et sentes passant devant les courettes des
maisons (on peut encore de nos jours, se rendre compte de ce lacis
de ruelles en parcourant la Rue aux justes ou encore la Sente des
feux). Pour l'essentiel, le tracé de voirie correspond à
celui du XVIIIe siècle et les principaux axes sont en place
depuis le moyen-âge. On pense en particulier à la Grand'rue,
anciennement appelée "Franche Rue" (aujoud'hui
Rue Jean Cramoisan et Rue Emmanuel Foy) qui mène du vallon
à la plage, ainsi qu'au chemin venant de Vattetot et passant
devant l'église d'Yport pour rejoindre ensuite Criquebeuf.
Quel habitat ?
La plupart sont de plain-pied et rares sont celles qui possèdent
un étage. la couverture traditionnelle est en chaume ou en
paille, les murs vraisemblablement en torchis. Elles ne devaient
pas différer des petites habitations que l'on rencontre encore
sur les plateaux. Dès les années 1840, l'ardoise est
à la mode et on ne couvre plus les maisons en chaume. En
1841, un arrêté municipal l'interdit afin de limiter
les risques d'incendie : "Considérant
que les maisons existantes dans le secteur d'Yport sont agglomérées,
qu'une grande partie est couverte en ardoises mais qu'il en reste
encore une assez grande quantité dont la couverture est en
paille
" (4)
L'intérieur de la plupart des maisons devait être relativement
rudimentaire. Dans les années 1880, le docteur Gibert nous
en donne une description : "ces
maisons sont creusées en contrebas de la ruelle et généralement
composées de deux pièces, toutes deux n'ayant que
le sol pour plancher, la première avec cheminée, la
seconde servant de chambre à coucher. A vrai dire ce sont
des caves plutôt que des chambres et la saleté de ces
réduits défie toute description. " (5)
Bien que ce témoignage date de 1884, il semble raisonnable
de l'appliquer à l'habitat de cette première moitié
de siècle.
Relativisons tout de même les descriptions négatives
qui sont citées ci-dessus : elles émanent toutes de
témoins issus de milieux totalement étrangers au monde
maritime local, les notions d'hygiène et de richesse n'y
sont pas identiques. Le minimal chez l'un peut ressembler au luxe
chez l'autre, ce qui pouvait être choquant dans un milieu
social ne l'était pas nécessairement dans un autre
(et c'est toujours vrai) ! Ajoutons enfin que le XIXe siècle
est celui de l'hygiénisme triomphant, ce qui n'est pas pour
rendre compréhensible à ces auteurs un mode de vie
qu'ils jugent archaïque.
Et Yport devint une station balnéaire
en vogue : La révolution architecturale
C'est
à partir du milieu du XIXe siècle que la physionomie
d'Yport se modifie en profondeur. Déjà vers les années
1840, avons-nous dit, un certain nombre d'habitations sont couvertes
d'ardoises. A la même époque, on construit à
Yport une école et une église. L'indépendance
du village est complète quand en 1843, il devient commune
et possède sa propre mairie. Tous ces éléments,
constitutifs d'un village doté d'une administration "normale",
semblent être la base d'un développement qui atteindra
son apogée au début du XXe siècle. Un peu plus
tard qu'Etretat, probablement vers les années 1855, Yport
fut "découvert" par des "Parisiens" en
villégiature. La proximité de Paris en faisait une
destination intéressante pour tous ceux qui ne voulaient
ou ne pouvaient s'offrir de villégiature étretataise.
Pour offrir des loisirs à cette nouvelle population, un casino
est construit en 1864-1865. Il est inauguré le 20 août
1865 et dirigé par le violoniste Nathan.
En 1864, un bureau de poste est installé sur la grand
place. Deux ans plus tard, une nouvelle artère (la future
rue Alfres Nunès), courant de la mer à la place du
grands puits, est tracée, rendant plus aisée la circulation
dans le village et l'année suivante un marché est
créé sur la place de l'église.
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En 1867, la grande majorité des maisons est encore
de plain-pied même si un tiers des maisons possède
un étage. A cette date, le renouvellement du parc d'habitations
n'est pas total, ce qu'il sera dans les vingt années
suivantes. Dans les années 1880, il ne restera plus
de maisons sans étages (ou très peu). L'habitat
que l'on peut voir de nos jours à Yport n'est donc
pas véritablement ancien, puisqu'il s'est créé
dans un temps court, une vingtaine d'années tout au
plus.
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Dès les années 1860, on ne trouve presque plus
de maisons convertes en paille ou en chaume : elles sont 90%
à être couvertes d'ardoises. L'ardoise a définitivement
remplacé les modes de couverture traditionnelles. Plusieurs
facteurs ont oeuvré au renouvellement des couvertures
: interdiction municipale, relatif enrichissement, mode régionale...
(La poursuite de l'étude serait intéressante
maintenant que l'ardoise est devenue "traditionnelle").
L'aspect des maisons ne devait pas être totalement différer
du village actuel. |
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Ce graphique présente le rapport type de couverture
/ maisons de plain-pied. On y constate que les couvertures
traditionnelles paille/chaume ne concernent principalement
que les maisons basses de type ancien, . Les constructions
nouvelles (à étage) utilisant l'ardoise.
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Sources
des données : d'après un relevé établi
en 1906 (Archives municipales d'Yport). Echantillon : 51%
du total des habitations |
La majeure partie des maisons yportaises ont
été construites en un laps de temps assez court, trente
ans tout au plus. La briéveté de la construction alliée
au peu de changements majeurs survenus au XXe siècle donnent
au village actuel une unité architecturale intéressante.
En poussant plus loin, on pourrait ecrire qu'Yport est une quasi
photographie de l'architecture littorale cauchoise des années
1860-1890. (6)
Toujours est-il qu'en 1868, le guide Murei vante ainsi le village
à ses lecteurs : "Les rues
naguère pavées pour ainsi dire de varechs et de débris
de poissons répendant une odeur acre, se sont bien nettoyées.
[...] Nulle part sur la côte normande les arbres sont aussi
nombreux et aussi rapprochés de la mer." (7)
On peut en conclure que l'habitat ancien d'Yport était très
semblable à ce qu'on rencontrait sur le plateau: maisons
basses à toit de chaume ou de paille. Il est intéressant
de noter que, s'il y eut de nouvelles implantations à la
suite de l'extension numérique de la population, la majeure
partie des constructions neuves (brique/ardoise) se fit par la destruction
presque totale de l'habitat préexistant (tout en gardant
la trame urbaine). On imagine alors la révolution que cela
pouvait symboliser : développement socio-économique
du village, élévation du niveau de vie, salubrité
publique...
Trente ans plus tard, en 1895, une station de chemin de fer desservant
Yport est mise en service à Froberville. Il faut bien sûr
ensuite faire le voyage jusqu'à Yport, deux à trois
kilomètres en calèche mais le développement
conjugué des transports ferroviaires et des bains de mer
vont assurer dès cette époque une certaine prospérité
à la commune. Au même moment (1898), le service des
eaux est installé et le grand-puits sur la place principale
supprimé. Les divers puits du village continueront cependant
de fonctionner car la prospérité affichée ne
touche pas l'entière population du village et sûrement
pas les familles de marins malheureusement plus pauvres que leurs
édiles.
La station balnéaire ne va cesser de s'affirmer. On construit
sur le front de mer et sur les côtes du vallon de spacieuses
villas. Une partie de la plage est organisée pour le loisir
et en 1900, deux bassins sont creusés dans le rocher à
proximité du galet pour les enfants. Yport devient par l'intérmédiaire
de quelques résidents un lieu attractif pour les artistes.
Jean-Paul Laurens habite à Yport, Renoir fait un passage
à l'invitation d'Alfred Nunès, maire... Mais tout
ne va pas sans mal et les conflits sont courants entre locaux et
vacanciers : demande d'hygiène, de lumière dans les
rues d'un côté, plaintes contre des vacanciers en costume
de bain dans le village, de l'autre...
Au tournant du siècle, la conscience d'appartenance au groupe
des "parisiens", en villégiature, et à celui
des "yportais", les locaux "de souche", est
suffisamment importante et prégnante pour que la revue balnéaire
la petite gazette d'Yport, écrite
par et pour des "parisiens" souligne sur presque chaque
page les différences entre yportais et touristes. Il est
parfois des conflits qui durent...
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